Entretien avec Valérie Tandeau de Marsac, fondatrice et présidente de voxfemina par Yasmina Khelifi

Chaque année le 8 mars, lors de la journée internationale des femmes, nous assistons à un déferlement de webinaires, de messages sur les réseaux sociaux célébrant la femme dans toutes les industries et professions. Mais en tant que femme, nous ne devons pas limiter nos efforts à une journée par an. Nous devons partager nos expériences dans des séminaires, conférences ou lycées tout au long de l’année. Notre expertise doit être visible dans les médias, au même titre que celle des hommes, encore majoritaires malgré les efforts déployés depuis plusieurs années. Mais le chemin vers une meilleure visibilité est un apprentissage.

voxfemina, fondée par Valérie Tandeau de Marsac aide les femmes à prendre conscience de leur potentiel et de leur expertise pour rééquilibrer la parole des experts dans les médias et ainsi contribuer à lutter contre les stéréotypes. En 2024, voxfemina fête ses 15 ans et c’est l’occasion de revenir sur ses réalisations et apports. 

Pourquoi avez-vous créé voxfemina ?

J’ai créé voxfemina fin 2009 après la publication du premier rapport du gouvernement sur l’images des femmes dans les médias. Quand j’ai pris conscience du déséquilibre de visibilité des experts en faveur des hommes, j’ai réalisé que j’avais croisé dans ma vie professionnelle beaucoup de femmes crédibles comme expertes. L’idée m’est venue de les rassembler dans une association dont le but serait d’œuvrer pour corriger ce déséquilibre. C’est ainsi qu’est née voxfemina, avec l’encouragement des auteures du rapport, parmi lesquelles Brigitte Grésy et Mercedes Erra, qui sont devenues marraines de l’association. Nous allons donc cette année fêter nos 15 ans d’existence !

Quels sont les réalisations et apports de voxfemina tout au long de ces années ?

Nous avons fait tant de choses qu’il est difficile de tout lister ! Grâce à nous, le Women’s Forum a créé le programme Women in Media, en partenariat avec voxfemina et Deloitte, une première en 2012.

Puis nous avons lancé le Concours Femmes En Vue, à partir de 2014. L’idée était d’utiliser notre présence sur les réseaux sociaux pour identifier plus de femmes crédibles comme expertes. Les candidates devraient nous envoyer un selfie de 90 secondes dans lequel elles expliquaient pourquoi elles estimaient être crédibles comme expertes et dans quels domaines elles pensaient que les médias devaient les interroger.

Nous avons réussi au fil des saisons successives du Concours, à identifier des centaines d’expertes. Les candidatures étaient ensuite examinées par un Jury comprenant nos partenaires corporate (Deloitte, Orange, notamment), des médias (La Tribune, France Média Monde, puis TF1) et un représentant du Ministère ou de la Délégation en charge des droits des Femmes. La douzaine de lauréates sélectionnée chaque saison se voyait ensuite proposer une journée de média training.

Avec le confinement lié au COVID, nous avons développé des ateliers en distanciel, et transformé le Concours, qui s’échelonne maintenant sur plusieurs mois. L’idée est de faire un Parcours à « 360 ° » : on commence par des ateliers « Pitch & Talk » où l’effet miroir du collectif est mis à profit pour apprendre à nos expertes à pitcher leur expertise pour les médias ; on poursuit avec un média training, et on termine par des ateliers « Tweet & Link » pour apprendre à bien utiliser les réseaux sociaux pour booster sa visibilité.

Plus récemment, nous avons aussi lancé un podcast « Pitch & Talk » avec notre partenaire ENDERBY.

Enfin, nous organisons régulièrement depuis plusieurs années des webinaires « Devenir administratrice », qui rencontrent un grand succès.

Par votre expérience, quels sont les trois mythes contre lesquels les femmes doivent lutter ? et comment ?

Je dirais que le premier mythe est que les réalisations des femmes ont moins d’importance que celles des hommes. Par exemple, je suis souvent frappée par l’emploi excessif de l’adjectif « petit » quand les femmes parlent de leurs projets. Une expérience utile est de les conduire à repérer et corriger ces tics de langage qui les dévalorisent.

La seconde chose qui me vient à l’esprit n’est pas exactement de l’ordre du mythe, mais relève plutôt d’une attitude générale. A mes yeux, il est très important d’éviter la victimisation, car elle peut rapidement dériver sur une forme d’agressivité justifiée par une lecture trompeuse et clivante du monde qui ne correspond pas à la réalité, toujours plus complexe. Il me paraît aujourd’hui essentiel d’associer les hommes à nos actions, raison pour laquelle nous avons fait entrer des hommes à notre conseil d’administration, pour les engager à nos côtés.

Enfin, le troisième mythe est l’argument souvent avancé par les médias, de l’absence ou de l’insuffisance de femmes crédibles comme expertes. Ce mythe est exactement à l’origine de la raison d’être de voxfemina, qui est d’identifier et de rendre visible dans les médias l’expertise des femmes, contribuant ainsi à lutter contre les stéréotypes.

Comment répondriez-vous à la question : « les femmes sont moins disponibles pour se mettre en visibilité dans les média » ? Pourquoi ?

Je trouve que ce genre d’affirmation devrait être bannie, car elle contribue à ancrer et verrouiller les stéréotypes. Les répéter ad nauseam ne produit aucun résultat utile, et conduit simplement à accréditer l’idée que tout changement est impossible. Personnellement, je préfère sensibiliser les femmes à l’existence de ce stéréotype et leur expliquer qu’elles doivent être très vigilantes à éviter toute attitude risquant de le renforcer.

J’ai pu moi-même bénéficier d’une formation avec voxfemina et je suis adhérente à l’association. Cela permet de rencontrer d’autres expertes, d’échanger et d’apprendre dans un climat de bienveillance et de générosité. C’est grâce à ses conversations et formations que l’on peut se développer.
– Yasmina Khelifi